Observer les effets du changement climatique dans le massif du Siroua : récits de terrain
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by
M&D
Sofia El Arabi, Nina Sahraoui, Jacques Ould Aoudia et Lore Van Praag, 3 avril 2025
En octobre 2024, nous (Nina et Sofia) nous sommes rendues dans la région du Souss Massa, au Maroc, pour rencontrer l’ONG M&D et visiter avec elle plusieurs villages du massif du Siroua. Lors de cette première série d’entretiens, les personnes rencontrées ont partagé avec nous les changements environnementaux qu’elles ont observés au cours de leur vie. Youssef, membre de l’organisation, a par exemple constaté une nette diminution de l’élevage en raison de la raréfaction de la végétation : « Il y a maintenant beaucoup moins de troupeaux, » explique-t-il. « Autour des villages, il y avait des parcelles irriguées par des sources. Aujourd’hui, ces sources existent encore, mais leur débit a baissé. » L’élevage a longtemps joué un rôle central dans la vie communautaire, mais avec la réduction des ressources en eau et des terres de pâturage, il devient de moins en moins viable. Ces défis affectent les pratiques culturelles anciennes et menacent les moyens de subsistance.
Source : Nina Sahraoui, visite de terrain, octobre 2024.
En l’espace d’une génération, les habitants des villages ont été témoins de bouleversements importants dans leur environnement, alors que la région subit une sécheresse de plus en plus marquée. Dans une vidéo produite par l’ONG M&D, un villageois local désigne une étendue de terre : « Ici, c’était une forêt. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de végétation. Avant, quand les troupeaux entraient, on ne les voyait plus, tant les arbres étaient denses. » Ce geste est plus qu’une description : c’est une forme de mémoire vivante, une cartographie des pertes sur le paysage. Jadis pilier de la vie rurale, l’élevage n’est plus une activité durable pour de nombreuses familles. La perte des pâturages et l’accès réduit à l’eau en font une activité de plus en plus incertaine. Ce n’est pas seulement une perte économique : l’érosion des pratiques pastorales touche à l’identité culturelle, transformant le lien entre les communautés et leur territoire.
Au fil des entretiens, les récits de sécheresse, de pertes de récolte et de rareté des ressources se sont multipliés. Bouchaib, qui a grandi dans une oasis plus au sud, raconte : « Avant 1982, la pluie était rare, mais elle tombait. Depuis, on a remarqué un changement, avec des sécheresses très sévères. » Ses propos traduisent un glissement progressif vers l’aridité, perturbant les repères que les communautés utilisaient depuis des générations.
Pour beaucoup, la pénurie d’eau n’est pas une menace abstraite — c’est un combat quotidien. Souad, une femme vivant dans une petite ville voisine, nous parle des terres de sa tante situées le long de l’oued Zagmouzen : « Ces dernières années, il n’y a pas eu une seule récolte. Même les amandiers ont souffert. » Connus pour leur résilience, les amandiers et les oliviers sont des cultures emblématiques dans la région. Alors que l’eau devient une ressource de plus en plus rare et précieuse, les paysages locaux portent les marques visibles de la sécheresse récurrente. « Aujourd’hui, il y a moins d’olives, et elles sont plus petites, » ajoute Souad. Ses observations révèlent l’échelle intime du changement environnemental, mesuré à travers le poids d’une récolte, la taille d’un fruit, le silence d’un verger. Ce ne sont pas des cas isolés, mais les signes d’un phénomène plus large : épuisement des sols, stress hydrique, fragilité écologique.
Source : Nina Sahraoui, visite de terrain, octobre 2024, 10 jours après des précipitations exceptionnelles.
Les systèmes agricoles et pastoraux qui ont soutenu les communautés pendant des générations sont de plus en plus mis à l’épreuve. La raréfaction de l’eau, la dégradation des sols et les changements climatiques modifient les choix en matière d’usage des terres et de moyens de subsistance. Omar, un salarié de M&D, résume la situation : « On a perdu certaines ressources. La terre nourrit moins de monde qu’avant. »
Alors que l’agriculture et l’élevage deviennent plus difficiles, de nombreuses familles dépendent des revenus de proches travaillant en ville ou à l’étranger. La migration, qui n’était auparavant qu’une possibilité parmi d’autres, devient une stratégie nécessaire. Bien que le changement climatique ne soit pas le seul facteur de mobilité, dans les zones rurales du Siroua — déjà marquées par un manque d’opportunités économiques — on ne peut l’ignorer. Il influence directement la manière dont les communautés envisagent leur avenir.
Les personnes rencontrées lors de notre séjour évoquaient avec précision les changements dans les précipitations, la disparition des arbres et l’évolution des pratiques pastorales — une précision née de la vie quotidienne en milieu rural. Ce savoir n’est pas anecdotique : il offre une compréhension précieuse des transformations environnementales et des capacités d’adaptation. Dans le cadre du projet GENDEREDCLIMATEMIG, nous cherchons à rapprocher la recherche académique des perspectives ancrées dans les territoires, en reconnaissant que les savoirs climatiques sont multiples. Les modèles scientifiques et les données météorologiques sont essentiels, mais tout autant les voix de celles et ceux qui vivent au quotidien les multiples bouleversements que nous englobons sous le terme générique de changement climatique. Notre voyage dans le massif du Siroua nous a rappelé que le changement climatique n’est pas seulement une crise globale — c’est aussi une réalité profondément liée aux territoires. Il se manifeste dans les lits de rivières asséchés, les troupeaux disparus, les arbres résilients mais en souffrance, et dans les paroles des habitant·es qui observent et affrontent ces défis au quotidien.
Les voix recueillies tout au long de ce voyage nous rappellent que le changement climatique n’est pas une menace lointaine — il est déjà vécu. Pourtant, ce n’est pas uniquement une histoire de perte ou de tension. Nombre de personnes touchées expriment une forte volonté de rester enracinées dans leur territoire. En collaboration avec l’ONG M&D, elles élaborent des réponses locales — des stratégies d’adaptation ancrées dans l’expérience vécue, les savoirs pratiques, et la détermination à faire perdurer la vie dans les villages.